Nous avons dû faire preuve de créativité pour

répondre aux besoins des patients

De plus en plus de jeunes traversent des crises suicidaires ou des épisodes de détresse profonde. Face à cette réalité, l’unité Okapi, intégrée au service de pédiatrie du Centre Hospitalier Régional Sambre et Meuse (CHRSM), offre une prise en charge médico-psycho-sociale rare en Wallonie. Objectif : offrir un temps d’arrêt pour apaiser, contenir et protéger, tout en ouvrant des pistes de solutions pour l’avenir. 

Rencontre avec Pierre Gérard et Daphné Saelens,
coordinateur et assistante sociale au sein d’Okapi.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est Okapi et pourquoi l’unité a été créée ?

Créée en 2013, Okapi est née pour répondre à un manque important dans l’offre de soins : en province de Namur, aucun lit de crise pédopsychiatrique “K” généraliste résidentiel n’existe pour accueillir les jeunes fragilisés sur le plan psychologique. Intégrée au service pédiatrique du CHRSM, l’unité offre un temps d’arrêt essentiel, en s’appuyant sur une équipe pluridisciplinaire : pédopsychiatres, pédiatres, psychologues, assistants sociaux, éducateurs, enseignants et infirmiers.

Ce type de structures reste rare en Wallonie et à Bruxelles où il y a la pédiatrie d’un côté et la pédopsychiatrie de l’autre. Alors que les besoins dépassent souvent les seules pathologies prises en charge en pédopsychiatrie.

Concrètement, comment se déroule une prise en charge ?

Les jeunes sont orientés vers l’unité soit après un appel d’un membre de son réseau (psychologue, PMS, service d’aide à la jeunesse, etc.), de sa famille et parfois du jeune lui-même, soit directement depuis les urgences du CHRSM, où toute tentative de suicide entraine une hospitalisation.

Deux types de dispositifs sont proposés selon l’urgence : les lits de crise, pour une prise en charge intensive de 5 jours, et les lits bilan qui consistent en deux périodes de cinq jours séparées d’un weekend à la maison. Dans le premier cas, l’objectif est d’offrir un espace d’apaisement, dans le second de faire le point, et pour chacun d’eux de préparer la suite du parcours de soin.

Pour les jeunes qui refusent l’hospitalisation après un passage aux urgences, une consultation avec différents professionnels peut également être organisée.

Quelles sont les raisons qui amènent les jeunes à être hospitalisés chez vous ?

Nous accueillons des jeunes aux profils variés : certains sont en crise suicidaire, après une tentative ou en proie à des idéations suicidaires ; d’autres vivent des situations qui les fragilisent comme des difficultés familiales ou scolaires, ou des situations d’abus. Nous recevons aussi des jeunes présentant des troubles du comportement, des symptômes anxio-dépressifs ou un stress post-traumatique.

Notre étude montre que le nombre d’hospitalisations pour tentative de suicide a presque doublé en 10 ans. Est-ce que vous ressentez également cette augmentation de la détresse chez les jeunes dans votre unité ?

Depuis la crise COVID, nous observons une augmentation des problématiques suicidaires, qu’il s’agisse de passages à l’acte ou d’idéations très envahissantes. Le nombre de nos hospitalisations en lits de crise est constant, et depuis quatre ans, nous enregistrons une dizaine d’hospitalisations supplémentaires. Aujourd’hui, 80% de ces admissions sont liées à un passage à l’acte, à des idéations suicidaires ou à des comportements de type automutilations.

On remarque aussi que les les patients sont de plus en plus jeunes et dans des situations de plus en plus complexes, ils sont fragilisés à différents niveaux.

 

 

 

 

Qu’est-ce qui influence cette augmentation ? Avez-vous observé des facteurs récurrents ?

C’est assez complexe, la crise est multifactorielle, pas uniquement suicidaire. Nous sommes face à des jeunes qui ont de moins en moins d’appui. On les sent plus fragiles parce qu’autour d’eux, ça va moins bien. Il y a des fragilités économiques, familiales, scolaires, entre pairs, un manque de perspectives, etc. Cela génère beaucoup d’angoisse.

Nous remarquons aussi que les jeunes se sont approprié les codes du geste suicidaire.  C’est un moyen d’expression qu’ils partagent avec d’autres. Sur les réseaux sociaux, ils échangent beaucoup sur leurs expériences, se sentent compris par d’autres. Cela crée un effet d’entraînement.

Ensuite, il n’y a pas une semaine sans qu’on ait des cas de problématique scolaire (harcèlement ou décrochage) ou d’abus.

Avez-vous assez de moyens pour répondre à la demande ?

Nous avons la chance d’avoir une équipe complète et compétente, même si les pics de sollicitations ou les absences rendent parfois la situation tendue. Dans beaucoup de services pédiatriques, la réalité est tout autre : ils n’ont parfois qu’un mi-temps psychologue, ce qui complique fortement la prise en charge.

De plus, notre unité existe pour pallier un manque plus structurel, lié à l’absence de lits pédopsychiatrique généralistes. Les lits pédopsychiatriques actuels sont dédiés aux troubles sévères (psychose, autismes importants, etc.) et ne correspondent pas aux besoins des jeunes que nous recevons. Certaines structures ont bien converti des lits adultes en lits pédopsy, mais elles travaillent sur une temporalité plus longue et doivent faire face à un manque de moyens et de disponibilités, alors que certains patients nécessitent réellement un encadrement de crise rapide.

Avez-vous déjà dû refuser des patients ou les réorienter ?

Nous tentons au maximum de répondre à toutes les demandes d’aide, même si celle-ci sont très souvent plus importante que notre capacité d’accueil. Lorsqu’une hospitalisation n’est pas possible, nous activons toutefois d’autres options, comme un rendez-vous rapide chez le psychologue du jeune ou dans notre service, l’intervention d’Un pass dans l’impasse ou un transfert vers un autre hôpital.

Les situations les plus compliquées concernent les jeunes qui ont besoin d’une hospitalisation en pédopsychiatrie. Trouver un lit relève souvent du parcours du combattant. Mais comme nous, les services font toujours leur possible pour « pousser les murs ».

Que faudrait-il améliorer pour répondre aux besoins ?

De nombreux services de santé mentale existent déjà et nous nous rencontrons régulièrement pour mieux nous coordonner.

Ce qui gagnerait à être amélioré, en revanche, c’est la continuité des soins. Dans notre unité, nous posons les bases pour une prise en charge en contactant leur médecin traitant, leur psychologue ou en activant Un pass dans l’impasse. Mais le risque c’est qu’il y ait une rupture dans la trajectoire de soin ? L’enjeu est de garantir un fil rouge pour s’assurer que le jeunes soient accompagnés sur le long terme. Dans notre cas, lorsque c’est nécessaire, nous consacrons des moyens au suivi post-hospitalisation pour s’assurer que les soins extérieurs tiennent dans la durée.

Il manque également beaucoup de pédopsychiatres en capacité de pouvoir donner une réponse suffisamment rapide. Et bien sûr, la création de lits pédopsychiatriques “K” généralistes résidentiels restent indispensables en province de Namur.

Un besoin d’accompagnement ?

Découvrez le service Okapi du CHRSM.

Les centres de planning familial Soralia

proposent également des consultations psychologiques

L’ASBL Un Pass dans l’impasse

est spécialisée dans la prévention du suicide et offre un soutien réactif en cas de crise.

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